Petite histoire de Donjons&Dragons
#4
AD&D (1ère à 8ème impression)
Illustration de D.A. Trampier (Players Handbook) et de David C. Sutherland III (Dungeon Masters Guide, Monster Manual).

Petit retour en arrière. J'ai mis à la suite les différentes versions du Basic Set pour en voir un peu l'évolution, et Basic avant AD&D puisque le Basic de Holmes est sorti avant la première édition d'AD&D. Mais la version BECMI de la gamme Basic est sortie dans les années 80, en fait. Or, AD&D est sorti sur la fin des années 70, donc on est avant.
Et ça se voit : ici, les trois livres de base, qui prennent pour la première fois les noms iconiques de "manuel du joueur" (Player's Handbook), "guide du maître" (Dungeon Master Guide) et "manuel des monstres" (Monster Manual), qui ne vont plus tellement changer. Bon, techniquement, là on a le livre des joueurs (Players Handbook), et le guide des maîtres du donjon (Dungeon Masters Guide), mais on y est presque. Et le manuel du monstre (Monster Manual) (à moins que ce soit "le manuel monstre", adjectif), mais ça c'est comme d'habitude.
En anglais, aussi, le jeu semble être de trouver un mot différent pour "livre" à chaque fois. Les joueurs ont un "Handbook", le maître du jeu un "Guide", et les monstres un "Manual". Malheureusement, comme "Handbook" et "Manual" se traduisent tous les deux par "manuel" en français, les éditions françaises ne conservent pas cette petite subtilité (la VF de D&D3, par exemple, avait un "manuel des joueurs", un "guide du maître" et un "manuel des monstres"). J'ai tendance moi-même à dire "livre du joueur, guide du maître et manuel des monstres", pour garder le jeu des synonymes, et d'ailleurs dans "handbook" il y a "book", "livre".

Trêve de hors-sujet, on est là pour parler des illustrations des couvertures, pas de leur titrage...
On est avant la publication du set de BECMI D&D, disais-je donc, et ça se voit, parce que les trois couvertures ne sont pas du tout uniformisées.
La première couverture, celle du manuel des joueurs, a pour centre une statue de démon aux yeux de joyaux, qui encore une fois a l'air de sortir tout droit de la scène du temple de Moloch dans le Cabiria de 1914. On a donc un ton plutôt lugubre et sérieux, encore que les aventuriers tout autour, bien que dessinés de façon plus ou moins réaliste, évoquent un peu pour moi de petits enfants qui jouent tout autour de leur père et lui grimpent dessus, ce qui donne un côté ridicule à la scène. Mais bon c'est peut-être juste moi.*
Sur la deuxième couverture, les aventuriers affrontent cette fois un véritable démon plutôt que seulement la statue d'un, mais ce démon est dans un style totalement différent. Son visage furieux me rappelle en fait les oni japonais. De plus, l'attitude et la gestuelle des personnages ont un côté un peu comics de super-héros (côté renforcé par l'héroïne qui est à poil), là où dans le précédent, si on ignorait l'effet un peu comique des deux aventuriers qui grimpent sur l'épaule de la statue, on avait des attitudes plus sérieuses et plus réalistes.
Mais au moins, la qualité du dessin est à peu près équivalente entre les deux premières, alors que pour la troisième couverture, celle du manuel des monstres, on revient à un dessin qui semble beaucoup plus amateur (et pourtant, c'est  le même artiste que la deuxième couverture). Et puis, surtout, le style n'est pas du tout le même. La première avait un style lugubre, la deuxième un style plus héroïque, mais les deux avaient un style relativement sombre, tandis qu'ici on dirait une illustration de livre pour enfants.
Bref, tout ça ne va pas ensemble.

* note après coup : je vois sur cette illustration un groupe de 6 aventuriers, dont 2 sont chargés de prendre les rubis des yeux de la statue pendant que les guerriers et le mage préparent la suite de l'exploration du donjon (d'où la carte), mais une autre interprétation possible, c'est que 2 voleurs sont en train de dérober les rubis au nez et à la barbe du groupe de 4 sentinelles ou aventuriers concurrents.


AD&D (9ème impression et suivantes)
Illustration de Jeff Easley

On a enfin une conformité entre les trois livrets. Les trois illustrations sont dans un même style (du même artiste, Jeff Easley), correspondant d'ailleurs à un supplément sorti un peu plus tôt, le Monster Manual II, que je n'ai pas mis parmi les autres couvertures puisque ce n'est pas un livre de base. Je le mettrai peut-être un peu plus tard pour comparaison.
Au niveau des titres en anglais, au passage, on passe du pluriel au singulier : de Players Handbook (livre des joueurs) à Player's Handbook (livre du joueur), et de Dungeon Masters Guide (guide des maîtres de donjon) à Dungeon Master Guide (guide du maître du donjon).

Je suis probablement pas du tout impartial, parce que j'ai grandi dans les années 80-90 (petite enfance dans les années 80 et enfance, préadolescence, adolescence dans les années 90), et qu'il y a donc pour moi un aspect nostalgique à ce type d'illustrations que je pouvais voir dans les magazines à l'époque, mais à mon avis c'est clairement sur cette période qu'on a les plus belles illustrations.

Passons à la composition.
C'est assez surprenant, mais on n'a pas du tout de guerrier sur cette couverture.
Le livre du joueur représente un magicien, aux prises avec des gargouilles, en train de jeter un sort ; le guide du maître présente une figure encapuchonnée, possiblement un sorcier ou un prêtre, ouvrant une grande porte à deux battants, et le manuel des monstres un dragon rouge en plein combat avec un groupe de pégases.
- Livre des joueurs : "vous pourrez être un magicien, devenir puissant, et vous allez rencontrer des monstres dangereux à combattre".
- Guide du maître : alors, clairement, moi ça me fait penser au jeu vidéo Dungeon Master (1987). Le jeu commençait avec un être incorporel (le joueur) qui ouvre une lourde double porte pour rentrer dans le donjon de Lord Chaos, et il y avait une fin alternative, si on retrouvait avec nos aventuriers le Firestaff au 14ème et dernier niveau, et qu'au lieu de l'utiliser pour affronter Lord Chaos, on retournait avec à la surface, où on se retrouvait face à un personnage avec une cape apparaissant derrière la double porte, Lord Order. Le jeu est sorti en 1987 et la couverture date de 1980, donc c'est plus le jeu vidéo qui s'est inspiré de la couverture que l'inverse.
Qui est ce mystérieux personnage ? Il représente sans doute "le maître du donjon" éponyme, et d'ailleurs, il semble détenir "les clés" de toutes les énigmes dudit donjon, comme le symbolise la grosse clé qu'il porte autour du cou. Pourtant, il n'a pas l'air particulièrement menaçant. (Mais après tout, le "maître du donjon", le vrai, c'est à dire le joueur qui endosse ce rôle, n'est pas forcément un adversaire des joueurs incarnant les aventuriers...). Bon, OK, son sourire figé et terne n'est pas vraiment chaleureux, mais ce n'est pas non plus un rictus sadique ou dément.
- Manuel des monstres : comme dans la version précédente, on a l'iconique dragon rouge cher au titre. Le mélange entre un dragon rouge médiéval d'un côté, et des pégases inspirés de la mythologie grecque de l'autre, représente bien l'espèce de mélange des folklores que peut être l'univers de base de D&D. Comme dans la précédente version, on n'a aucun aventurier en vue, uniquement des créatures, représentant bien qu'elles sont la thématique centrale de ce livret, mais c'est d'autant plus accentué ici, avec l'absence du centaure qui précédemment permettait encore de garder vaguement un souvenir d'humanité.
Le choix d'un combat entre un dragon et des pégases en plein vol promet également que les joueurs auront un jour la possibilité de vivre des combats aériens.


AD&D2
Illustration de Jeff Easley

Encore une fois, un triptyque d'illustrations dans un style unifié, bien que le fond blanc du manuel des monstres dénote un peu avec les couleurs plus sombres des deux autres volumes. Ça vient du fait que le manuel des montres est cette fois relégué à un simple accessoire de jeu, un supplément, et plus un livre de base. Seuls le livre du joueur et le guide du maître conservent cet honneur.
Au niveau des titres : on reste sur du singulier pour le livre du joueur et le guide du maître, mais le manuel des monstres devient le "Monstrous Manual", soit en français "le manuel monstrueux" (ici, c'est bien un adjectif).

Cette fois, à nouveau, les deux extrêmes de l'éventail des classes d'aventurier, le guerrier et le mage, sont représentés sur les couvertures, le guerrier étant présent sur la couverture du livre du joueur et le mage sur la couverture du guide du maître.
- Livre du joueur : le guerrier (ou peut-être est-ce un paladin) a l'air d'être un aventurier assez expérimenté. Il porte une armure complète hybride de plates et de maille (épaulettes et jambières en plates et chemise de mailles). Son épée tenue à une main est assez longue (probablement un peu bâtarde vu la taille de la poignée). Les ailettes sur le casque sont sans doute très peu pratiques, même si c'est sans doute moins chiant que des cornes, mais bon... c'est de l'illustration de fantasy, quoi, c'est pas censé être réaliste. (Mais avec des yeux réalistes, ça lui donne un aspect un peu ridicule, quand même...). Autre signe qu'il s'agit sans doute d'un aventurier un peu expérimenté, c'est qu'il a semble-t-il deux suivants : à leur uniforme, ce ne sont pas deux compagnons aventuriers, mais de simples soldats.
Nous voyons apparemment la scène des yeux de la créature que le guerrier monté est en train d'attaquer, ce qui donne un côté très dynamique.
Le décor n'est pas très identifiable, il sert surtout à cadrer la scène. Sans doute une sorte de passe dans la montagne, ce qui expliquerait le côté tunnel rocailleux, mais éclairé par la lumière du jour.
- Guide du maître : encore un dragon ! Il a l'air assez vieux, en plus, avec ce petit œil enfoncé dans les cernes ou les rides (comparez avec l'œil du dragon rouge du volume Basic du BECMI, par exemple). Comme le guerrier précédent, ce mage a l'air d'être un aventurier de haut niveau. D'une part, par son aspect vénérable avec sa longue barbe blanche. Ensuite, c'est donné par tout le côté psychédélique de la scène. Le décor est encore moins discernable que sur la couverture précédente. Il y a des volutes de fumée colorées, des grosses bulles qui s'élèvent vers le ciel, le feu du souffle du dragon et des flammes générées par les mains du mage, de plus, la robe du mage est floue et se fond avec sa barbe et le décor. On a vraiment l'impression d'un clash entre la magie du dragon et la magie de l'aventurier. Remarquez, les sorts de Main Brûlante et de Flou ne sont que des sorts de niveau 1 et 2, respectivement... donc pas si haut niveau que ça... Mais je pense qu'il faut bien l'être, de haut niveau, pour affronter en duel un dragon-ensorceleur un peu ancien.
- Manuel des monstres : on retrouve 3 des créatures les plus iconiques du bestiaire de D&D, un dragon rouge, bien sûr, un beholder, apparaissant pour la deuxième fois en couverture (du moins dans celles que j'ai sélectionnées, il est vrai que je n'ai pas vérifié tous les suppléments, modules et aventures de Basic et AD&D), et une liche. On voit aussi un minotaure, qui à l'instar du centaure du Monster Manual de 1979 et des pégases du Monster Manual de 1983, signale la continuité de la présence des créatures de la mythologie grecque dans le bestiaire de D&D. On voit également un thri-kreen, une sorte d'hybride entre un humanoïde et une mante religieuse, qui comme le beholder, est une création originale de l'univers de D&D et non issue d'un quelconque folklore préexistant.
Leur disposition est intéressante, certains regardant vers la gauche, les autres vers la droite, et le beholder faisant face, un peu comme un groupe de combattants encerclés par l'ennemi. Ça donne aussi un effet "galerie de personnage". On retrouve souvent ce genre de disposition dans les affiches de cinéma (cf. Avengers, Harry Potter, Star Wars... même Blade Runner, un petit peu)


Rules Cyclopedia
Illustrations de Jeff Easley.

De toute beauté encore, même s'il n'y a pas grand chose à l'image.
Première apparition d'un Ver pourpre, autre monstre un peu iconique de D&D (beaucoup moins que d'autres, certes, mais quand même), sur la couverture d'un livret de base.
Le Ver pourpre a toujours un peu dénoté dans le bestiaire de D&D, au sens où le ver géant est plutôt une créature de SF que de Fantasy (créature primordiale de l'univers de Dune de Franck Herbert, bien sûr, bien que techniquement les Dholes gigantesques de Lovecraft les précèdent d'une bonne trentaine d'années). Mais ça reste un monstre terrifiant, et apparemment, un souvenir terrible pour certains anciens joueurs vétérans...
L'aventurier à cheval, qui évoque un peu celui de l'Expert Set du BECMI de Mentzer, a ici un côté plus centurion romain que cavalier sarmate, je trouve.

La couverture du supplément Wrath of the Immortals est un peu hors-sujet, puisqu'il s'agit d'un supplément et non d'un livret de base, mais comme déjà dit, le Rules Cyclopedia est une révision de BECMI D&D qui compile les règles du Basic Set au Master Set en ignorant le Immortals Set (et les règles du Master Set d'accession à l'immortalité), or Wrath of Immortals permettait de combler ce manque et d'avoir toute la continuité de l'édition précédente de la gamme.
On voit tout de suite les ressemblances de cette couverture avec celles du Master Set et de l'Immortals Set, d'ailleurs.
Comme dans le Master Set, le personnage porte une couronne (bon ok, c'est plus ou moins un casque-couronne) et chevauche un dragon volant en guise de monture. Comme dans le Immortals Set, il est en pagne parce que son immortalité a rendu caduque pour lui tout port d'armure.
Les tons rouges donnés par le cadre de flammes, omniprésentes, évoquent cependant plus le côté un peu lugubre des couvertures des premières impressions d'AD&D dans les années 70, que le paysage SF de l'Immortals Set.


New, Easy to Master D&D Game (15ème et 16ème impression du Basic Set, celles de BECMI servant de la 12ème à la 14ème. La 18ème impression réutilise également la même illustration, mais au format portrait plutôt que paysage.)
Illustration de Jeff Easley.

Première -et seule- illustration sous le format "paysage" (horizontal) plutôt qu'au format "portrait" (vertical). Cette illustration a servi aussi pour une version jeu de plateau.
Illustration simple, comme la volonté de simplicité de cette intro au Rules Cyclopedia.
Juste un dragon rouge éponyme - évidemment - faisant face à un guerrier à la hache.
Il existe des versions moins sombres de cette illustration où à la place du fond noir, on a encore une passe de montagne comme dans le livre du joueur d'AD&D2.

Le dragon combat le guerrier, évidemment, mais comme il est présenté de face, on peut vite oublier l'aventurier et avoir l'impression qu'il fait face au lecteur et tente de l'attraper entre ses griffes ! C'est donc à la fois une menace à vaincre, effrayante, et une façon de dire "vous allez être happé, capturé, par ce jeu !".


The Classic Game of D&D (17ème impression du Basic Set).
Illustration de Jeff Easley.

C'est visiblement un remake de l'illustration précédente. On retrouve la passe de montagne, et un dragon rouge (quoiqu'il paraît orangé à l'image) affrontant un guerrier à la hache. Cependant, le guerrier à la hache à deux mains se voit rejoint par deux compagnons - qui illustrent mieux que D&D est censé être joué à plusieurs joueurs. Il s'agit d'un vieil homme en robe, qui pourrait être un mage (mais malgré son doigt levé, il n'a aucune énergie magique visible autour de lui, donc ça pourrait être un PNJ à protéger), et le centurion romain à cheval semble être le même que celui du Rules Cyclopedia. De plus, les ailettes sur le casque du guerrier à la hache rappellent le personnage du livre du joueur d'AD&D2.
Autre différence, l'attitude du dragon n'est plus du tout la même. Il n'est plus tourné vers le lecteur, mais directement vers le guerrier et le mage, et ses bras ne tentent pas d'agripper un adversaire, mais de s'agripper à la roche pour tirer le dragon et ainsi lui permettre de s'infiltrer dans la crevasse, mettant ainsi l'accent sur sa taille qui le gêne lui-même.
Le dragon parait également moins menaçant. Outre le fait qu'il n'est pas en position d'attaque, ses pattes en arrière mettant sa gueule à la merci de la hache de l'aventurier sans possibilité de bloquer les coups, son expression est moins agressive : il n'a pas le sourire sadique du précédent. Il a un côté plus animal, et moins adversaire retors. Et même s'il a des difficultés à s'infiltrer dans la faille à cause de sa taille, il est en fait moins colossal que le précédent. Dans l'illustration précédente, le guerrier paraissait minuscule devant l'immense dragon qui le dominait totalement, voire le faisait disparaître dans son ombre. Ici, le guerrier semble faire part égale avec le dragon, étant de même taille et à la même hauteur que la gueule du dragon, sa seule partie émergée et apte au combat dans cette position.


AD&D 2 Revised
Illustration de Jeff Easley.

Bon, ces deux là, je ne les trouve pas très réussies. Et pourtant c'est du Jeff Easley ! Mais c'est trop sombre, trop de noir...

- Livre du joueur : dans un couloir de donjon en arches successives, un groupe de trois aventuriers derrière le seuil d'une porte défoncée. Devant, un barbare archétypique, habillé en pagne, coiffé d'un casque à cornes et portant une grande hache à deux mains. Sa position est un peu bizarre, avec le visage de face vers le lecteur, mais les jambes et le torse de profil orientés vers la gauche. Son poing levé et le fait qu'il soit le plus près de la porte suggèrent que ce soit lui qui ait enfoncé la porte -ce qui est assez logique, traditionnellement, c'est bien la responsabilité des guerriers ou barbares. Un peu derrière lui, un homme encapuchonné armé d'un arc et d'une flèche. Sa posture penché en avant, les yeux froncés, l'arc, non bandé, pointé dans une direction différente de son regard, semble indiquer qu'il n'essaie pas d'attaquer un ennemi (même s'il reste prêt à le faire, d'où le fait qu'une flèche soit déjà encochée), mais de discerner ce qu'il y a devant. Cela indique qu'il fait sombre derrière la porte. Cela pourrait être un voleur ou un Ranger, ce n'est pas évident à déterminer - peut-être même simplement un guerrier à l'arc, mais il n'a pas l'air très armuré. Enfin, le troisième personnage, encore plus en arrière, et à droite du barbare, semble être un mage : il s'agit d'une silhouette encapuchonnée, avec ce que je devine vaguement être des éclairs d'énergie de couleur verte sortant d'un petit sceptre qu'il brandit à la main. L'image est tellement sombre et mon scan de si mauvaise qualité que c'est difficile à déterminer.
Vu le peu d'équipement, et l'absence de soldats les suivant, il semblerait que ces aventuriers soient plutôt débutants.
Un peu comme la couverture d'AD&D2 de 1989, les aventuriers nous font face, en particulier le barbare, donnant l'impression qu'ils vont attaquer le lecteur, ou du moins, que le lecteur voit du point de vue des adversaires que les aventuriers découvrent derrière la porte.
Autre élément dynamique : les débris de bois de la porte enfoncée sont encore en plein vol, l'action étant figée en plein mouvement. On aurait pu représenter la porte déjà cassée, avec les débris déjà à terre, par exemple, mais là, ils forment un demi-cercle planant à quelques centimètres au-dessus du sol, donnant un côté "explosif" au mouvement, renforcé par les rais de lumière qui servent de "traits de vitesse", comme on en aurait dans une bande-dessinée. (Pour le coup, usage assez malin ! Notre cerveau, habitué aux traits de vitesse, "lit" le mouvement, mais sans avoir besoin d'en dessiner réellement, et ainsi éviter un effet "comics" qui romprait avec la volonté d'un dessin assez réaliste. Ici, les traits lumineux ont un sens intra-diégétique, vu que les différentes planches, en se séparant, créent des aplats d'ombres là où elles cachent la lumière, et des interstices lumineux entre elles. Astucieux !) De plus, entre l'arche du seuil de la porte, et le demi-cercle des morceaux de bois, les éléments de décor créent un surcadre mettant encore plus en valeur le groupe d'aventuriers (enfin, surtout le barbare).
- Guide du maître : encore plus sombre que la précédente, on n'arrive même plus à discerner le décor. On voit deux personnages armés. Le premier, musculeux, mais ramassé, porte un sourire sardonique. Sa hache à deux lames, son torse nu et le collier d'os ou de dents qu'il porte autour du cou semblent l'identifier comme un barbare. De part son rictus, il s'agit plus d'un barbare prompt au pillage et au massacre plutôt qu'un barbare héroïque. Le deuxième personnage, maniant une hache à une main et coiffé d'un casque un peu hybride entre la cervelière (dôme de métal sur le haut du crane) et le camail (pour la partie en mailles qui lui descend sur la nuque et les côtés du cou). Il a un air particulièrement "dégénéré", avec ses yeux cerclés de noir, son gros nez plat, sa bouche aux dents inégales grande ouverte - on dirait un des hillbillies du film Deliverance. Dans le noir, au fond, on devine un troisième personnage sous un reflet bleuté, qui semble lancer une clameur, la bouche grande ouverte, le poing gauche levé et un objet non identifié (sceptre magique ? hache à une main ? piolet ou pic de guerre ?) dans la main droite.
À part celui du fond qui regarde vers la gauche (voire le coin en haut à gauche), sans qu'on sache trop pour quelle raison, les personnages regardent encore une fois vers le lecteur, comme pour l'affronter.
À la différence de l'illustration précédente, cependant, ces trois personnages, par leur expression mauvaise, leur posture recourbée ("sournoise"), leur aspect "dégénéré" (à la limite du cliché raciste sur les campagnards consanguins), les identifient clairement comme des adversaires et non des aventuriers.
Là où, sur l'illustration du livre des joueurs, on a comme dit plus haut le point de vue des adversaires sur les aventuriers, sur celle du guide du maître, on a le point de vue des aventuriers sur les adversaires.
Ce n'est pas tout. Les morceaux de bois sur le sol, que le personnage de "barbare mauvais" commence à enjamber, sont un rappel des morceaux de bois en vol de l'illustration précédente. En fait, il semblerait que les deux illustrations représentent les deux points de vue en vis-à-vis de la même scène : d'un côté, les aventuriers qui défoncent la porte, de l'autre, les créatures du donjon qui les attendent en embuscade. Les deux images ne sont pas simultanées, cependant, les planches de bois issues de la porte enfoncée étant déjà à terre sur le guide du maître, alors qu'elles sont encore en vol sur le livre du joueur. La deuxième image est donc un peu décalée dans le temps, probablement quelques secondes plus tard.

Dernier point sur l'ensemble : il n'y a que des humains. Aucun monstre étrange, même aucun humanoïde fantastique (elfe, nain). Sur aucune des deux couvertures. On avait que des humains sur la couverture du livre du joueur de 1989, mais au moins un dragon apparaissait sur le guide du maître. Sur les trois livres de base d'AD&D de 1983, on pouvait voir des gargouilles, un dragon et des pégases !
Là, rien de fantastique (à part la magie du mage, et encore, on la voit à peine !).
Cela renforce le côté terre-à-terre, sombre/lugubre, low fantasy. On dirait du Sword & Sorcery à la Conan le barbare, plutôt que de la high fantasy à laquelle les couvertures des années 80 nous avaient habitués. En fait, ce serait un jeu de rôle Conan plutôt que des manuels de D&D, je ne serais même pas choqué.
Après, un retour au lugubre / quasi réalisme comme le livre des joueurs d'AD&D de 1977, plutôt qu'au côté grande gueule des années 80 n'est pas forcément un mauvais choix (et peut-être influencé par la mode des années 90 des comics américains super sombres et moralement ambigus), mais bon, là, il y a vraiment rien qui fait rêver. Je veux dire, il y a quand même un élément criant : pour la première fois dans l'histoire des couvertures des manuels de base de Donjons & Dragons on n'a pas un seul foutu dragon, c'est quand même un comble ! Bon, on a au moins un donjon, donc les éléments du titre ne sont pas tous absents.
Bref, comme déjà dit, dans l'ensemble, je trouve ces deux couverture assez mauvaises. Et pourtant, on peut voir que même sur une couverture mauvaise, on a des choses à dire et des éléments intéressants à trouver ! (La structure en vis-à-vis et l'astuce des rais de lumière.)
Mr. Shadow

Dieu est mort ! Vraiment mort !
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RE: Petite histoire de Donjons&Dragons - par Lyzi Shadow - 26/06/2020, 13:24



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