31/10/2016, 22:25
Canton de Pontarlier, dimanche 9 décembre 1906...
Il gelait à pierre fendre. Les forêts de résineux coiffant les reliefs dévalaient en vagues noires jusqu'aux creux des combes. Une gangue de neige durcie, bien décidée à perdurer jusqu'au printemps incertain, emprisonnait les ramures d'épines. C'était un paysage immobile, soumis au regard de quelque gorgone échappée d'Homère, une terre conquise par un hiver interminable. Sous le règne sans partage de ce tyran, le froid féroce mordait les chairs et se faisait le fouet acéré de son maitre.
Rompant le lourd silence, un craquement sinistre résonnait dans la futaie pour se répandre en écho sonore quand, vaincu par le poids de la glace, un sapin se brisait dans un râle d'agonie.
Les champs pétrifiés ondulaient au rythme des vallées sèches et des alignements de dolines, ces mystérieux avens qui conduisaient à des dédales souterrains. Aux premiers frimas, les paysans de la région prenaient soin de planter de longues perches souples à proximité de ces déclivités traitresses afin de les baliser. Plus dangereux que les crocs des loups -dont on craignait toujours la présence dans les profondeurs des bois- ces pièges naturels à l'instar de quelques bouches infernales, masqués par les congères, se plaisaient à avaler l'imprudent voyageur se hasardant hors des chemins.
La pâleur du ciel délavé se confondait à l'immensité blanche des champs abandonnés par les hommes au dictat de l'hiver. Le tout formait un monde sans frontières, ni limites et votre regard se perdait dans cette uniformité blafarde.
La vie paraissait résignée, vaincue.
Les chevaux de race comtoise, malgré leur robustesse, peinaient à mener le fiacre sur la route verglacée, luisante comme une patinoire et dont les lacets serpentaient depuis la vallée jusqu'au mont dénudé et son village solitaire.
Au loin, quelques escarpements rocheux s'élevaient en falaises, rangées de dents grises enfoncées dans l'argile des coteaux qu'on destinait aux troupeaux, à la saison clémente qui ne durait pas.
Rien ne durait d'ailleurs dans ce pays oublié, si loin des villes et du changement de civilisation où rugissait la frénésie du nouveau siècle. Ici, les vies s'épuisaient aux champs et dans les bois, à gagner la pitance qui permettait à peine de se lamenter sur son sort à la veillée, devant une écuelle de soupe plus claire que de l'eau. Pourtant le curé promettait l'absolution au terme d'années d'indigence. L'espoir n'avait pas sa place à la campagne. Dans ce monde de misère, il fallait se résigner à croire que ce serait pour celui d'après.
Alors on soufflait la bougie de mauvaise suie, du genre qui vous crachait au visage sa fumée âcre et vous piquait les yeux. On sombrait dans un sommeil lourd sans rêve frissonnant par la faute de l'air glacé d'une masure livrée aux vents affamés. La nuit devenait le royaume du silence tout autant que des désirs refoulés.
Un chanoine de l'Abbaye de Montbenoit, efflanqué comme un échassier, vous avait prévenu le matin même, tandis que les chevaux piaffaient, de l'écume plein les naseaux, leurs sabots martelant les pavés déchaussés de la cour.
- Méfiez-vous d'eux Mr Lantillet. Les gens du haut n'aiment guère les étrangers et encore moins ceux de la ville. Braves, ils le sont, pour sûr, mais une rancœur maligne coule dans les veines de la plupart. C'est un pays rude et ses habitants le sont tout autant. Trop loin du Christ, je vous le dis ! Ne perdez pas la foi et priez chaque jour !
La bise sifflante vint ponctuer son anathème de rafales tourbillonnantes qui soulevèrent un voile de neige poudreuse en même temps que les capes et les revers des pèlerines. Les étoffes claquèrent contre les bottes en cuir des silhouettes austères rassemblées dans les brumes d'un matin délavé. L'Abbé en personne accompagné du prieur étaient venus vous saluer depuis le couvert du cloitre, ombres grises, dressées telles des pierres de sel, insensibles dans la tourmente.
Dans le signe de croix qu'il vous adressèrent alors que vous posiez la semelle sur le marchepied du fiacre, vous n'auriez su dire s'ils bénissaient votre voyage ou vous donnaient l'extrême-onction.
Il gelait à pierre fendre. Les forêts de résineux coiffant les reliefs dévalaient en vagues noires jusqu'aux creux des combes. Une gangue de neige durcie, bien décidée à perdurer jusqu'au printemps incertain, emprisonnait les ramures d'épines. C'était un paysage immobile, soumis au regard de quelque gorgone échappée d'Homère, une terre conquise par un hiver interminable. Sous le règne sans partage de ce tyran, le froid féroce mordait les chairs et se faisait le fouet acéré de son maitre.
Rompant le lourd silence, un craquement sinistre résonnait dans la futaie pour se répandre en écho sonore quand, vaincu par le poids de la glace, un sapin se brisait dans un râle d'agonie.
Les champs pétrifiés ondulaient au rythme des vallées sèches et des alignements de dolines, ces mystérieux avens qui conduisaient à des dédales souterrains. Aux premiers frimas, les paysans de la région prenaient soin de planter de longues perches souples à proximité de ces déclivités traitresses afin de les baliser. Plus dangereux que les crocs des loups -dont on craignait toujours la présence dans les profondeurs des bois- ces pièges naturels à l'instar de quelques bouches infernales, masqués par les congères, se plaisaient à avaler l'imprudent voyageur se hasardant hors des chemins.
La pâleur du ciel délavé se confondait à l'immensité blanche des champs abandonnés par les hommes au dictat de l'hiver. Le tout formait un monde sans frontières, ni limites et votre regard se perdait dans cette uniformité blafarde.
La vie paraissait résignée, vaincue.
Les chevaux de race comtoise, malgré leur robustesse, peinaient à mener le fiacre sur la route verglacée, luisante comme une patinoire et dont les lacets serpentaient depuis la vallée jusqu'au mont dénudé et son village solitaire.
Au loin, quelques escarpements rocheux s'élevaient en falaises, rangées de dents grises enfoncées dans l'argile des coteaux qu'on destinait aux troupeaux, à la saison clémente qui ne durait pas.
Rien ne durait d'ailleurs dans ce pays oublié, si loin des villes et du changement de civilisation où rugissait la frénésie du nouveau siècle. Ici, les vies s'épuisaient aux champs et dans les bois, à gagner la pitance qui permettait à peine de se lamenter sur son sort à la veillée, devant une écuelle de soupe plus claire que de l'eau. Pourtant le curé promettait l'absolution au terme d'années d'indigence. L'espoir n'avait pas sa place à la campagne. Dans ce monde de misère, il fallait se résigner à croire que ce serait pour celui d'après.
Alors on soufflait la bougie de mauvaise suie, du genre qui vous crachait au visage sa fumée âcre et vous piquait les yeux. On sombrait dans un sommeil lourd sans rêve frissonnant par la faute de l'air glacé d'une masure livrée aux vents affamés. La nuit devenait le royaume du silence tout autant que des désirs refoulés.
Un chanoine de l'Abbaye de Montbenoit, efflanqué comme un échassier, vous avait prévenu le matin même, tandis que les chevaux piaffaient, de l'écume plein les naseaux, leurs sabots martelant les pavés déchaussés de la cour.
- Méfiez-vous d'eux Mr Lantillet. Les gens du haut n'aiment guère les étrangers et encore moins ceux de la ville. Braves, ils le sont, pour sûr, mais une rancœur maligne coule dans les veines de la plupart. C'est un pays rude et ses habitants le sont tout autant. Trop loin du Christ, je vous le dis ! Ne perdez pas la foi et priez chaque jour !
La bise sifflante vint ponctuer son anathème de rafales tourbillonnantes qui soulevèrent un voile de neige poudreuse en même temps que les capes et les revers des pèlerines. Les étoffes claquèrent contre les bottes en cuir des silhouettes austères rassemblées dans les brumes d'un matin délavé. L'Abbé en personne accompagné du prieur étaient venus vous saluer depuis le couvert du cloitre, ombres grises, dressées telles des pierres de sel, insensibles dans la tourmente.
Dans le signe de croix qu'il vous adressèrent alors que vous posiez la semelle sur le marchepied du fiacre, vous n'auriez su dire s'ils bénissaient votre voyage ou vous donnaient l'extrême-onction.