Les itinéraires gratuitement tordus
#1
Dissimuler des éléments essentiels à la réussite derrière des itinéraires tordus, nécessitant des choix qui n'ont rien d'évident, est une source de difficulté classique dans les livres-jeux (on peut notamment penser aux DF de Steve Jackson UK et de Paul Mason).

Mais les auteurs créent parfois aussi des itinéraires tordus purement optionnels, qui peuvent n'apporter qu'un élément utile (ne justifiant pas forcément les efforts qu'on a fait pour l'obtenir) voire même rien du tout, et à côté desquels il est totalement possible de passer sans que cela nous empêche de réussir l'aventure.

Dave Morris a un goût prononcé pour ce genre de mécanisme, et consacre parfois beaucoup de paragraphes à des chemins ou des situations que 95% des joueurs vont manquer (sans que cela leur porte nécessairement préjudice, d'ailleurs). C'est quelque chose qu'on observe notamment dans l'Épée de Légende (co-écrite avec Oliver Johnson, mais les itinéraires tordus sont une chose qu'on retrouve dans des ouvrages écrits par Morris seul).

Juste pour le plaisir, voici deux petits exemples tirés de la série :


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#2
J'ai le vague souvenir d'un truc similaire dans le tome 5, les Murailles de Spyte.

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#3
De manière générale, je suis très favorable aux passages, itinéraires, voire même objets ou actes gratuits dans un LDVH ou une AVH. Pourquoi faudrait-il obligatoirement qu'un objet trouvé, qu'un personnage rencontré ou qu'un endroit exploré nous apporte automatiquement quelque chose de décisif pour terminer victorieusement l'aventure ? Ou à l'inverse, nous porte la scoumoune. En gros, vous trouvez un superbe pagne en pure soie qui pend sur une corde à linge et vous en emparez. Soit :
- Vous êtes beau comme un jeune dieu enjoué là-dedans, vous pouvez vous rajouter 2 points de charisme.
- Pas de bol, vous chopez des morbaques et vous quittez les lieux en grommelant et en vous grattant furieusement l'entrejambe.

Bon, restons sérieux.
Je me souviens d'un passage de La Traversée Infernale où on longe une rue pleine de mendiants et où l'auteur nous dit qu'on peut leur faire l'aumône en précisant : "Rayez de votre feuille d'aventure le nombre de pièces que vous voulez leur donner et poursuivez votre chemin". Voilà un geste totalement gratuit (enfin, pas tout à fait…) et qui ne nous apporte rien dans la suite de l'aventure (sinon se retrouver dans la dèche au moment de payer son billet pour Port-Bax si on a été trop généreux éventuellement, donc peut-être pas si innocent que ça comme geste, ça se discute…).
Un moment ou une rencontre gratuite peut être l'occasion de souffler un peu, d'en apprendre plus sur le monde dans lequel on évolue, je pense à l'AVH Au pays des dragons d'Asshimbabbar par exemple.

Après, pour ce qui est des itinéraires gratuitement tordus, je suis pour aussi (mais à user avec modération quand-même, sous peine de démoraliser ou faire fuir le lecteur). Le meilleur exemple reste pour moi Le Manoir de l'Enfer où l'auteur nous ballade pendant des paragraphes entiers et parfois difficiles pour rien puisqu'on a pris le mauvais chemin et qu'on est foutu.
Sans aller jusque là, oui, je trouve crédible et réaliste que, parfois, on se tape une mini-aventure salement corsée au sein de l'aventure principale sans que cela nous rapporte quelque chose au final. Mais encore une fois, à utiliser avec modération je pense.
Anywhere out of the world
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#4
(16/09/2019, 21:02)Salla a écrit : J'ai le vague souvenir d'un truc similaire dans le tome 5, les Murailles de Spyte.

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Il y a en effet cinq passages possibles (et bien différents).


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Cependant, ces itinéraires ne sont pas si tordus en eux-mêmes : une fois qu'on est engagé sur l'un d'eux, il n'y a pas des masses de variations possibles.


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(16/09/2019, 21:14)Voyageur Solitaire a écrit : Un moment ou une rencontre gratuite peut être l'occasion de souffler un peu, d'en apprendre plus sur le monde dans lequel on évolue

Je suis tout à fait d'accord. Lorsque c'est bien fait, ça peut contribuer à l'atmosphère et/ou à l'immersion. Je pense juste qu'il ne faut pas en abuser ou donner de fausses impressions au joueur (qui pourra être frustré s'il arrive trop souvent que des décisions en apparence importantes ne sont en pratique que cosmétiques).

Avoir de longs passages qui sont difficiles d'accès et n'ont rien d'indispensable est plus étrange. J'imagine que ça peut plaire aux joueurs du genre "explorateurs", qui aiment découvrir des recoins insoupçonnés de l'aventure même si ça ne leur apporte rien d'objectivement utile. Ça peut aussi contribuer à l'atmosphère générale en donnant à l'aventure un parfum de mystère et de richesse insoupçonnée (mais ça ne marchera que si le joueur peut se rendre compte qu'il est passé à côté de quelque chose).


Citation :Le meilleur exemple reste pour moi Le Manoir de l'Enfer où l'auteur nous ballade pendant des paragraphes entiers et parfois difficiles pour rien puisqu'on a pris le mauvais chemin et qu'on est foutu.

C'est vrai qu'il y a beaucoup de paragraphes du "Manoir" où on est déjà mort et qu'on ne le sait pas encore ! Et des itinéraires parfois bien longs et tordus qui permettent seulement au joueur de découvrir une nouvelle façon de perdre !

Dans ce cas-là, je dirais que les itinéraires tordus contribuent au côté "puzzle" du livre. Parce qu'il y a ces itinéraires longs et compliqués, on présume naturellement qu'ils doivent avoir un sens, que la solution doit se trouver dans cette direction-là et qu'on a juste raté un détail qui nous aurait permis de la découvrir, alors qu'en fait ce sont de gigantesques fausses pistes.
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#5
Il est assez courant pour les jeux narratifs de posséder des secrets à l'accès complètement tordu, n'ajoutant aucun bonus et à la présence suggérée par un achievement sybillin. Là, comme ça, je pense par exemple à ceux de Long Live the Queen.

Quand c'est bien fait, c'est très cool. Quand cela nécessite un enchaînement de décisions illogiques entre elles, cela me donne surtout l'impression que ces secrets n'existent que pour créer un challenge artificiel à destination des complétionnistes.

Bien qu'il s'agisse en réalité du meilleur chemin, j'ai un faible pour le long passage secret du Dieu Perdu :
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Tiens, pour la petite histoire, dans la version numérique d'Au cœur d'un Cercle de Sable et d'Eau, il existe un succès nommé La réalité rejoint la fiction qui aurait peut-être mérité son paragraphe bonus tellement il est génialement tordu :
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#6
Pour Le Manoir de l'Enfer, c'est quand-même très fort : comme l'a souligné Outremer, lorsque j'ai pris ces longs passages dans lesquels on est foutu d'avance sans le savoir, arrivé au PFA, je me suis effectivement dit que c'était pas possible, que j'avais dû rater quelque chose, qu'il ne pouvait pas y avoir un aussi long itinéraire pour déboucher sur un PFA... Et du coup, quand j'ai recommencé, j'ai repris ce même chemin, à la recherche d'un truc que j'aurais loupé et qui n'existait pas ! Rien que pour ça, ce bouquin est magistral.

On peut penser aussi aux Sombres cohortes où, si ma mémoire est bonne, dès le départ, si on prend l'option par voie de terre, on se plante. Pareil pour Le Temple de la Terreur. Bon, là on est dans le One True Path, peut-on dire que c'est tordu et gratuit ? Je pense que oui : gratuit dans le sens où tout ce qu'on vivra comme péripéties n'apportera rien puisqu'on est automatiquement foutu et tordu aussi puisqu'on est automatiquement foutu, cqfd.

Le mieux est peut-être de proposer un chemin tordu et gratuit mais qui laisse une porte de sortie. Dans Les Tambours de Shamanka, j'offre au lecteur la possibilité de s'enfuir quasiment dès le début, de planter tout le monde là et de rentrer chez lui. S'ensuit un long périple avec rencontres, combats et la confrontation avec le démon de sel. Au cours de cette dernière, soit on meurt, soit on s'en sort (en piteux état) pour se retrouver devant Méroé, notre but initial. Tout ça n'a donc servi à rien. On peut même y rester mais j'offre quand-même une possibilité de s'en sortir. Du coup, l'effet négatif est atténué chez le lecteur je pense : il peut continuer, même mal en point, c'est toujours plus sympa que de crever et se dire qu'on a fait tout ce chemin pour rien.
Après, niveau réalisme, on peut se dire aussi que, ben oui, ça arrive, on se tape un long chemin où on en bave et pour rien, pour claquer à la fin. C'est possible, aussi frustrant soit-il.
A l'auteur de voir dans ce cas-là.
Anywhere out of the world
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#7
La gratuité, tordue ou pas, plus le temps passe et plus je trouve ça bien. C'est vraiment ce qui différencie le livre-jeu du jeu pur, l'idée qu'il y aussi un intérêt en soi de la lecture d'une branche. Déjà le fait de "réussir" ou pas un livre-jeu est une notion qui n'est pas nécessaire (je n'ai pas lu Fabled Lands mais je pense que ça doit faire partie du charme de cette série). Quand j'ai exploré un nouvel endroit, avec des situations intéressantes, même si je meurs à la fin ce n'est pas grave.
Paradoxalement quand j'écris je n'ai pas l'impression de mettre tellement de situations gratuites, au contraire j'ai la manie d'essayer de tout rendre utile...
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#8
(16/09/2019, 22:53)Skarn a écrit : Bien qu'il s'agisse en réalité du meilleur chemin, j'ai un faible pour le long passage secret du Dieu Perdu :
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Je ne le connaissais pas, tiens. Mais il faut dire que le Dieu Perdu est un LDVH où, à chaque tentative, je suis passé à côté d'à peu près tout ce qui était utile. Il me semble d'ailleurs que j'avais une fois effectué l'action qui permet de débloquer ce passage, mais que j'étais mort tout de suite faute de posséder l'objet indispensable pour survivre.


(17/09/2019, 08:05)Voyageur Solitaire a écrit : Dans Les Tambours de Shamanka, j'offre au lecteur la possibilité de s'enfuir quasiment dès le début, de planter tout le monde là et de rentrer chez lui. S'ensuit un long périple avec rencontres, combats et la confrontation avec le démon de sel. Au cours de cette dernière, soit on meurt, soit on s'en sort (en piteux état) pour se retrouver devant Méroé, notre but initial. Tout ça n'a donc servi à rien. On peut même y rester mais j'offre quand-même une possibilité de s'en sortir. Du coup, l'effet négatif est atténué chez le lecteur je pense : il peut continuer, même mal en point, c'est toujours plus sympa que de crever et se dire qu'on a fait tout ce chemin pour rien.

La frustration que le lecteur risque d'éprouver (en réalisant qu'il vient de suivre un itinéraire assez long pour rien) peut à mon avis aussi être atténuée par le caractère distrayant et intéressant du contenu de ce passage. Si on y est confronté à des éléments (informations, créatures, cadres, péripéties...) qui ne se retrouvent nulle part dans le reste de l'aventure, le joueur n'aura pas tant l'impression d'avoir perdu son temps, même si ces éléments ne lui apportent concrètement aucun avantage.

Lorsque le parcours est inutile et pas intéressant (le labyrinthe de la Fille du Calife en est le parfait exemple), le lecteur risque de se demander à quoi ça sert.


(17/09/2019, 15:41)gynogege a écrit : La gratuité, tordue ou pas, plus le temps passe et plus je trouve ça bien. C'est vraiment ce qui différencie le livre-jeu du jeu pur, l'idée qu'il y aussi un intérêt en soi de la lecture d'une branche.

Ce que tu dis là me fait penser au tome 2 des "Chroniques Crétoises". Pendant tout le temps qu'on passe à la cour de Minos, il y a quantité d'options (notamment toute la branche "Thaisia") qui n'apportent rien au héros. Mais ça contribue à faire vivre les personnages, ce qui est appréciable en soi. Le livre est une expérience très curieuse (le suivant aussi, mais pour des raisons différentes).
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#9
Je pense que ces moments gratuits, tordus ou pas, sont impératifs sur une saga, un cycle, comme Loup Solitaire ou La voie du tigre où l'on a un univers entier, une histoire s'étalant parfois sur des années, des lieux et personnages que l'on est amené à revoir. Les moments gratuits où l'on peut en apprendre plus sur cet univers, au détour d'une conversation, d'une rencontre, d'un court voyage ou autre, en deviennent même essentiels.
Sur un one shot, on peut plus facilement s'en dispenser, surtout si on reste dans un univers Fantasy "de base".
Anywhere out of the world
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#10
gynogege a écrit :Paradoxalement quand j'écris je n'ai pas l'impression de mettre tellement de situations gratuites, au contraire j'ai la manie d'essayer de tout rendre utile...

Comme le dirait Aleph2.3 :

« Mais enfin monsieur le président, vous n'y pensez pas ! De tels chemins secrets ne seront découverts que par une infime portion des lecteurs, et si cela entraînera chez eux une libération supplémentaire d'endorphines, nos projections indiquent que vous ne ferez que caresser ainsi dans le sens du poil un public de convertis, sans augmentation significative des ventes de vos ouvrages. Il est mathématiquement beaucoup plus avantageux de consacrer le temps de travail nécessaire à de telles errances à améliorer l'introduction, les règles, le quatrième de couverture, le premier bloc de paragraphes, la conclusion. »

Cette robotique analyse mise à part, je trouve assez intéressant que ces chemins cachés tordus contiennent un bonus alternatif à la voie optimale. S'ils sont purement négatifs, ou juste strictement moins bons qu'une voie plus facile d'accès, on les fera une fois, pour le challenge, puis on les laissera de côté. S'ils possèdent un atout qui leur est vraiment propre, même si c'est un avantage qui ne vaut pas le coup d'un pur point de vue calculatoire, voire qui est purement narratif, leur pouvoir d'attraction n'en sera que renforcé.

Je pense par exemple au tête-à-tête avec un grand ancien dans Les noyés, d'un accès d'une difficulté extrême, n'ayant techniquement aucun intérêt mais tellement moralement satisfaisant.
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#11
Personnellement, je crois que j'aurais du mal à écrire un enchaînement de paragraphes qui serait difficile d'accès tout en n'ayant rien d'indispensable. Il y a un côté sympathique que je ne nie pas (réserver des surprises à ceux qui suivront des parcours improbables ou qui rejoueront beaucoup de fois à l'aventure), mais je serais toujours tenaillé par l'impression que ces paragraphes pourraient être mieux utilisés.



Allez, un nouvel exemple tiré d'une œuvre de Morris : Cœur de Glace ! Au début de l'aventure, on est grosso modo aux environs de la frontière entre la France et l'Italie (mis à part le fait que les deux nations n'existent plus) et on doit se rendre dans une cité perdue au milieu du Sahara. Comme la Méditerranée est entre vous et votre objectif, vous ne pouvez pas voyager tout à fait en droite ligne. D'entrée de jeu, il vous faudra choisir entre l'est et l'ouest.


Mais vous pouvez aussi vraiment faire un détour.



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#12
J'aimerais tellement relire Coeur de Glace en version livre. Il est tellement riche qu'un pdf ne le met pas en valeur.
Alkonost qui connaît bien Dave Morris ne peut-il pas remédier à ce manque?  Tongue
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#13
t'sais... j'ai une version imprimable A5 de la trad originale d'Outremer... mais tu n'as jamais lu cette phrase, bien entendu...  Rolleyes
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#14
J'ai rejeté un œil au Dieu Perdu, et le chemin auquel je pensais n'a rien de gratuit en fait : Si dans l'absolu la victoire peut être atteinte de plusieurs façons, il n'existe en réalité qu'une seule voie où elle est statistiquement probable (sinon on enchaîne des combats et jets de dés trop difficiles), et c'est celle passant par la cape et les sandales. On est donc dans un one-true-path assez classique, rien à voir avec du bonus facultatif bien caché.
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#15
Il est possible que dans la version remaniée, ce chemin ait été rééquilibré
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